• NAISSANCE •
La nuit enveloppait de son manteau noir le camp de la Rivière. La pleine lune scintillait dans le ciel sombre, cachée seulement par quelques nuages. Tout était paisible, et Morphée veillait sur les membres du Clan. Soudain, déchirant l'obscurité, un hurlement douloureux s'éleva en une supplication larmoyante. Ce cri venait de la Pouponnière ; une reine mettait bas. En entendant cette plainte, un guerrier au pelage noir comme l'ébène surgit de sa tanière, les yeux arrondis par la terreur, le poil hérissé sur son échine.
« Que quelqu'un aille chercher Rêve Immortel et Paruline Céruléenne ! Reine du Printemps met bas ! » s'époumona le grand mâle. Aussitôt, la guérisseuse et son apprentie surgirent de leur antre, des ballots d'herbes et de graines dans la gueule. Tous trois se précipitèrent vers l'antre aux senteurs lactées, le guerrier noir en tête. À peine eut-il franchit le seuil de la Pouponnière qu'il accourut au chevet de sa belle, ne faisant pas attention aux reines et aux chatons qu'ils réveillaient sur son passage. Il n'avait d'yeux que pour sa compagne. Cette dernière souffrait atrocement. Ses poils habituellement d'un blanc si pur était maculé de sang, ses yeux bleu ciel éxorbités de douleur, et son corps se tordait en de violents spasmes. Le guerrier noir de jais souffrait lui aussi, en voyant l'amour de sa vie se débattre avec leurs petits pour les extirper d'elle. Pour arrêter ses souffrances, pour pouvoir s'occuper de leurs enfants avec toute la douceur et la tendresse qu'ils méritaient. Mais elle était là, à hurler de douleur en fixant son compagnon avec des yeux injectés de sang. Le pauvre mâle ne cessait de répéter d'un ton impatient et inquiet aux guérisseuses, qui préparaient leurs remèdes :
« Mais dépêchez-vous, enfin dépêchez-vous ! Elle va mourrir ! »Rêve Immortel s'avança alors, tenant entre ses crocs des herbes dont le guerrier ne connaissait pas le nom. Elle poussa d'un petit coup de museau le guerrier noir en lui demandant d'un ton concentré, les yeux rivés sur la reine :
« Vol de Bourdons, peux-tu reculer s'il te plaît ? Tu nous déranges, déclara-t-elle d'un ton sans appel. Puis, un peu plus bas, comme pour elle, elle ajouta :
Cette naissance est prématurée. Il va nous falloir beaucoup de graines de pavot, et… »Vol de Bourdons n'entendit pas la suite. Il s'éloigna de sa bien-aimée, extrêmement inquiet, après avoir chuchoté un
« Je t'aime mon amour. Sois forte ». Tapit dans un coin de la Pouponnière, il attendit donc, tremblant de stress. Chaque hurlement de la reine était plus douloureux pour lui. Il ne pouvait même pas être là-bas, à son chevet, pour la rassurer et l'encourager. Il ne pouvait pas, non. Il était condamné à l'entendre souffrir, encore et encore. Elle allait donner la vie à des chatons.
Leurs chatons. Il aurait dû être près d'elle, pour lui murmurer des mots doux à l'oreille. Mais il dérangeait les guérisseuses. Il voyait ces dernières très concentrées, penchées sur Reine du Printemps. De temps en temps, Paruline Céruléenne apportait de nouvelles herbes. Vol de Bourdons se tordait le cou pour tenter d'apercevoir sa belle. Tel fut le supplice du guerrier, jusqu'à qu'il entende un cri :
« Le premier chaton arrive ! » clama Rêve Immortel
Vol de Bourdons ne put attendre plus longtemps. Il bondit près des trois femelles, juste à temps pour voir la tête d'un chaton jaillir du corps de la reine, puis le torse, puis les pattes avant, puis les pattes arrières, jusqu'à ce qu'une petite boule de poils toute mouillée tombe dans la litière salie par le sang, les herbes et l'eau. Le guerrier d'ébène contempla d'un œil ému son enfant. Mais la seconde d'après, Rêve Immortel saisit le petit par la peau du cou avec une grande délicatesse avant de le confier à l'apprentie-guérisseuse, qui se mit à le lécher énergiquement. Le regard de Vol de Bourdons alla de son chaton à sa compagne. Cette dernière avait arrêté de trembler, et semblait tout simplement prête à perdre connaissance.
« Il n'y en a pas d'autres », annonça Rêve Immortel en posant une patte sur le ventre de la reine.
Un seul chaton. Juste un. Une minuscule petite chose qui prenait vie. Paruline Céruléenne continuait d'activer la circulation du petit, tandis que le jeune père se serrait, ému et un peu sous le choc, contre Reine du Printemps, l'empêchant de s'évanouir. Au bout de quelques instants, un faible miaulement s'éleva dans l'antre des mères. En entendant cela, la nouvelle mère tourna brusquement la tête vers le chaton, les yeux brillants malgré ce qu'elle avait enduré. L'apprentie-guérisseuse déposa alors contre les flancs de la reine blanche le petit chaton à la fourrure bicolore. Il était le mélange parfait de ses parents. Noir, comme son père et blanc, comme sa mère. Les deux parents observaient avec émerveillement leur nouveau-né, si petit, si insignifiant dans ce monde. Mais pour eux, c'était le plus beau chaton de toute la forêt. Leur contemplation fut interrompue par le ronronnement de la guérisseuse :
« C'est un mâle en excellente santé. Félicitations à vous deux. Je viendrais m'occuper de toi et de ton fils demain, Reine du Printemps. » Et sur ceux, les deux soigneuses du Clan se retirèrent, laissant la petite famille avec leur bonheur. Vol de Bourdons entreprit alors de nettoyer le pelage de sa compagne, qui était trop fatiguée pour le faire seule. Une fois que sa fourrure eut retrouvée un peu de sa blancheur habituelle, le guerrier chuchota avec amour :
« Il est parfait. Je suis si fier de vous deux », acheva-t-il, le museau enfoui dans le cou de sa belle.
Pour toute réponse, Reine du Printemps ronronna bruyamment. Elle avait souffert, pour donner à son Clan ce futur guerrier. Mais à aucun moment elle ne le regrettait. Son fils était magnifique. Elle avait vécu bien des douleurs, mais plusieurs lunes de bonheur intense s'ouvraient devant elle. Elle était la femelle la plus comblée de Cerfblanc.
« Comment allons-nous l'appeler ? », demanda-t-elle à son compagnon.
Ce dernier dévisagea longuement son fils. Le petit venait de naître, et pourtant son physique présageait déjà qu'il serait puissant et fort, sans pour autant être une brute. À la manière dont il était blotti contre sa mère, on aurait dit un jeune prince endormi contre sa génitrice, la reine. Oui, son fils était un petit prince. Le plus beau, le plus parfait des princes.
« Petit Prince. Il s'appelera Petit Prince. » Reine du Printemps acquiesça. Le nom était somptueux. Un nom parfait pour un chaton parfait.
• 1 LUNE •
Une lune. Cela faisait une lune que la jolie Reine du Printemps avait donné naissance à un petit mâle bicolore. Cela faisait une lune que père, mère et fils vivait dans la quiétude et le bonheur constant. Cela faisait une lune que Petit Prince vivait, et le petit chaton avait déjà démontré un fort caractère de chef, au grand bonheur de son père, qui voyait déjà en lui un futur meneur. La jeune mère quand à elle voyait en son unique enfant le meilleur des guerriers. Elle n'avait pas l'ambition de l'imaginer chef. Toujours étaient-ils que les deux parents étaient extrêmement fiers de leur fils, qui grandissait un peu plus chaque jour. Dans la petite famille, chacun avait son rôle. Petit Prince n'était pas un chaton facile à éduquer. Déjà un peu insolent à une lune, ainsi que désobéissant et hyperactif, il faisait parfois tourner en bourrique ses parents. Vol de Bourdons s'était ainsi approprié le rôle du père autoritaire lorsque son fils faisait des bêtises. C'était toujours lui qui punissait le chaton, qui le grondait et cetera. Reine du Printemps n'était pas capable de serait-ce d'interdire à son fils d'aller jouer dehors. Elle lui laissait faire tout ce qu'il voulait, et si le père de Petit Prince n'avait pas été là, ça aurait bien souvent tourné à la grosse bêtise qui ne pardonne pas. Or, comme le chaton savait que Vol de Bourdons était là pour le punir sévèrement si besoin, il se tenait à peu près tranquille, bien souvent très fâché contre son géniteur qui l'empêchait de faire ce qu'il souhaitait.
Ce matin, le Clan semblait complètement déprimé. Une patrouille venait de chasser un couple de renards et leurs renardeaux, mais bien des félins furent gravement blessés lors de ce combat. Rêve Immortel et Paruline Céruléenne étaient débordées, allant d'un blessé à un autre le plus rapidement possible. Seuls les chatons semblaient s'amuser, riant et criant à travers le camp. Parmi eux, Petit Prince jouait comme les autres, commandant en partie le jeu. Il savait que son père faisait partie de ladite patrouille, et il ne l'avait pas encore vu pour le moment. Cela importait peu au chaton. Ça pouvait bien attendre qu'il ait fini le jeu qu'il venait tout juste d'inventer : empêcher une boule de mousse dénichée par les petits de toucher le sol. Tous les chatons se ruaient vers la boule en hurlant. Tous voulaient la renvoyer dans les airs. Mais c'était constamment Petit Prince qui y parvenait, bousculant les autres grâce à ses larges épaules déjà puissantes. Et comme les chatons n'apprécient pas de se faire voler la vedette, bien des plaintes fusaient sur le jeune mâle :
« Arrête de te la jouer solo, Petit Prince ! »
« Oui, laisse un peu les autres jouer ! »
« Y'a pas que toi qui a le droit de rattraper la boule ! »
« Puis arrête de nous pousser, c'est pas du jeu ! »Le chaton en question s'immobilisa, dévisageant les petits avec des yeux froids. À ses deux semaines de vie, il avait ouvert les prunelles, et elles s'étaient révélées d'une somptueuse teinte ambrée tirant sur le vert. Depuis, tout le monde était étonné par son regard envoûtant. Le petit l'a compris, malin comme il est. Il s'en sert, voir en abuse.
Toujours était-il que ses yeux si expressifs étaient pour l'instant rempli de menaces. Les chatons qui se plaignaient se tassèrent imperceptiblement, impressionnés sans vouloir l'admettre par la prestance et le regard que leur lançait le chaton. Ce dernier était prêt à lâcher une répartie assassine dont il avait le secret quand un appel retentit :
« Petit Prince. »C'était Reine du Printemps. La femelle blanche se tenait sur le seuil de la Pouponnière, tremblant légèrement. Petit Prince ne pouvait pas le voir parce qu'il lui tournait le dos, mais elle avait les yeux baignés de larmes. Agacé en voyant que lesdits chatons commençaient à rire moqueusement en murmurant entre eux, le petit lança par dessus son épaule sans quitter les geignards des yeux :
« Attend M'man, j'ai pas fini de jouer ! »
« Petit Prince, je ne le répèterai pas deux fois. »
« Mais… »
« Viens. Ici. Tout. De. Suite » cracha la reine en articulant bien.
Le ton sec et venimeux de sa mère surprit le chaton. Pour une fois, elle avait employé un air autoritaire et semblait prête à priver son fils de sortie pendant une lune s'il ne venait pas immédiatement. Résigné, le petit bougonna un peu, question de conserver sa fierté devant tout le monde, avant de rejoindre sa maman en jetant un dernier regard incendiaire aux chatons, qui riaient à gorge déployée derrière lui. Il en voulait à sa mère de l'avoir humilié et empêché de répondre aux petits qui se plaignaient. Quand elle aura fini de lui parler, il ira leur régler leur compte, parole de Petit Prince.
Il arriva devant sa mère en regardant le sol pour bien lui signifier qu'il boudait. Quand il aperçut les pattes immaculées de sa mère par terre, il grogna ausstôt :
« Pourquoi tu m'as empêché de finir mon jeu ? Tu m'as humilié et en p… »
« Ton père est mort. » déclara la reine avec une voix d'outre-tombe.
Surprit par cette annonce tout à fait inattendue, Petit Prince releva les yeux vers sa génitrice. Il remarqua alors que les prunelles bleues de Reine du Printemps étaient remplies de larmes. Le chaton resta figé quelques instants. Comment était-ce possible ? Son père était le meilleur combattant du Clan ! Et il s'était fait tué par de vulgaires renards ? Le petit mâle grimaça de dégoût. C'était pathétique. Il n'aurait pas pu mourir dans un combat avec un autre Clan ? Au moins, là, le chaton aurait de quoi se vanter ! Son père serait mort sur le champ de bataille. Mais non. Il était mort, tué par une famille de renards. Adieu, réputation. Petit Prince pria pour ne pas avoir une mort aussi
minable. Mais la mère du chaton bicolore ne semblait par percevoir le pathétisme de la situation. De grosses larmes coulaient sur ses joues, inondant son doux visage. Et vu le regard qu'elle lançait à son fils, elle s'attendait à ce qu'il fasse pareil qu'elle.
Eh ben non, désolé Maman. Le prince est fort. Le prince est invicible. Le prince ne pleure pas sur le corps d'un simple guerrier mort de façon peu impressionante. Le chaton reprit vite ses esprits. L'éclat de stupeur dans ses yeux disparut, et il se retint tout juste d'hausser les épaules, sachant que sa mère ne lui aurait jamais pardonné ce geste.
« Ça ne te fait rien ? Tu ne pleures pas ? Mon fils est donc un sans-cœur ? se lamenta la reine.
Oups. Grillé. Il fallait agir, et vite. Le petit changea aussitôt de comportement. Il courba l'échine, baissa queue et oreilles et planta ses minuscules griffes dans le sol jusqu'à ce qu'il ait les larmes aux yeux. Puis, il redressa la tête et croisa le regard de sa mère. Elle, elle ne faisait pas semblant. Elle était véritablement en pleurs à cause de la mort de son père. Franchement. Un félin mort sur des millers, ce n'était pas la fin du monde ! C'est comme ça, la vie. On vit, puis on meurt. Et Petit Prince, du haut de sa seule et unique lune d'existance, semblait avoir mieux compris cette philosophie que la féline blanche.
« C'est juste que je suis en état de choc… Comment cela a-t-il pû arriver ? » répondit le petit en forçant un hoquet et quelques sanglots désespérés.
Et là, Reine du Printemps craqua. Elle fondit en larmes sous les yeux ébahis de son fils, s'écroulant par terre comme une vulgaire poupée de chiffon. Elle hoquetait sans cesse, son minois bienveillant déformé par la douleur. Elle ne cessait de répéter :
« Qu'est-ce qu'on va faire, mais qu'est-ce qu'on va faire ? »On ? Petit Prince vit rouge. De quel droit sa mère lui collait-elle l'étiquette du pauvre petit bout de chaton désespéré par la mort de son père ? La seule désespérée, dans l'histoire, c'était elle. Lui allait très bien, Dieu merci. Agacé par cette généralisation, le petit cessa de jouer l'enfant battu et observa sa maman.
En réalité, il était content de la mort de son père. Oui, vous m'avez bien entendu. Content. Pourtant, Petit Prince n'est pas un monstre sans sentiments. Au contraire. Simplement, il ne voyait en son père que des inconvénients. Une barrière entravant sa liberté. Il le punissait toujours, si bien que leur relation d'une lune seulement avait été principalement constituée de disputes, de punitions et de bouderies de la part de l'enfant. Et pourtant, tout le monde savait à quel point Vol de Bourdons aimait son fils. Mais le chaton en doutait beaucoup. Pour lui, si on aime quelqu'un, on ne l'embête pas comme ça. Pire, lui n'était même pas capable d'affirmer s'il avait aimé son père. Peut-être. Mais maintenant qu'il était parti rejoindre le Clan des Étoiles, le chaton se savait libre ! Avec un peu de chance, sa mère conservera son laxisme et le laissera faire tout ce qu'il voudrait. Il n'y aura plus de barrières entre la liberté et lui, plus personne pour le gronder ou pour le punir. Ce sera le bonheur, pur et simple. Le chaton en aurait presque sauté de joie. Décidément, son père avait commis une bonne action en mourrant ! Bonjour, liberté, adieu, punitions ! Enfin ! La vraie vie commençait.
Plus Petit Prince observait sa mère, le cerveau en ébullition, plus il comprenait que la belle vie s'ouvrait devant lui, moins il arrivait à ressentir le moindre élan de compassion envers sa génitrice. Il finit par en conclure que certaines personnes - dont lui - avait tout compris à la vie. D'autres - comme sa mère - en cherchait encore le sens.
• 2 LUNES •
Et voilà. Le cycle de la vie continuait, personne n'avait arrêté de respirer depuis la mort de Vol de Bourdons. Petit Prince était maintenant âgé de deux lunes, devenant de plus en plus insolent et intenable. Tout à fait remis de la mort de son père - après tout, il n'avait été choqué que trois minutes tout au plus - il continuait tranquillement sa vie de chaton. Sa place de chef au sein de la Pouponnière était maintenant claire : c'était lui qui commandait, et personne d'autres. Il était fier de sa position, il se sentait grand lorsqu'ils voyaient que les chatons exécutaient ses ordres sans discuter. Il était jeune, et pourtant il avait déjà un gros impact sur la vie des autres petits. Il décidait de tous ; des jeux, des bêtises qu'ils feront, du rôle de chacun durant les amusements. Il adorait ça. Il se sentait puissant, invincible. Le prince qui gouvernait son royaume, qui dirigeait ses sujets. C'était un incroyable sentiment que de se sentir obéit. Et le chaton expérimentait cela chaque jour.
Si le petit mâle s'était totalement remis du décès de Vol de Bourdons, pour la mère du petit, c'était une autre histoire. Reine du Printemps n'avait plus goût à rien. Elle restait affalée dans sa litière, le regard dans le vide. Elle ne sortait plus, on devait la forcer pour qu'elle mange et pour qu'elle boive. Même la vue de son fils ne lui redonnait pas le sourire. D'ailleurs, ce dernier jugeait son comportement très « bébé » et ne venait la voir que pour la supplier de lui accorder quelque chose, tant que cela restait correct. Par exemple, pour une permission de sortie ou pour aller jouer avec les autres, il demandait à sa mère. Par contre, quand l'idée lui venait de faire telle ou telle bêtise, soyez certains qu'il n'ira demander l'autorisation à personne ! D'ailleurs, il a remarqué que depuis que sa maman a commencé sa déprime, elle se fiche des idioties que peut faire Petit Prince. Lorsqu'un guerrier retrouve le chaton et deux ou trois de ses copains en train de fouiller le repaire des anciens et qu'il ramène le petit chenapan à sa mère, celle-ci le fixe avec des yeux vides et lui dit parfois d'une voix mécanique de ne pas recommencer. Pas de punitions, rien. Juste cette phrase peu convaincante qui n'empêche évidemment pas le petit fripon de continuer. Le taux de bêtises faite par Petit Prince est donc anormalement élevé. De plus, il s'arrange toujours pour embarquer quelques un des chatons de sa bande avec lui, résultat : le responsable de toutes ces bêtises est le seul à ne pas se faire gronder.
Petit Prince est sevré depuis peu. Parfois, il en tellement ras le bol de sa maman dépressive qu'il dort à la belle étoile avec sa prise qu'il a attrapé sur le tas de gibier. Tout les chatons l'admirent pour cela, eux qui sont coincés avec leur mère même à bientôt six lunes. Le petit en est fier, voilà pourquoi il continue à le faire régulièrement. Il en peut en tirer de la vanité, c'est le plus important.
Le petit aime sa vie. Il se fiche pas mal de la déprime de sa maman, tant qu'il peut faire ce qu'il veut, tout lui va. Et il peut faire tout ce qu'il veut. La vie est donc parfaite pour lui.
• 3 LUNES •
Encore une lune d'écoulée pour le chaton bicolore, qui a vu le jour il y a maintenant trois lunes. Rien n'avait changé dans sa vie, il continuait d'avoir sa réputation de chaton insupportable auprès des adultes, et celle de chef auprès des chatons. Récemment, Reine du Printemps s'était un peu remise de la mort de son compagnon. Elle s'alimentait volontairement et sortait même parfois prendre le soleil. Mais elle laissait toujours son fils faire ce qu'il voulait, aussi cela ne le dérangeait pas. Il était même content que sa mère reprenne goût à la vie. Mais un détail le chiffonait plus. Quelques félins plutôt proches de sa maman étaient venus lui parler en lui disant à quel point son enfant était intenable, désobéissant, insolent, bref, qu'elle lui laissait trop de libertés, qu'il fallait qu'elle soit plus sévère avec lui. Le petit mâle, qui avait espionné la converstation, en était furieux. Heureusement, le Clan des Étoiles semblait veiller sur lui, et Reine du Printemps avat déclaré qu'elle ne souhaitait pas parler de ça maintenant, que c'était son fils et que c'était elle qui l'élevait. Petit Prince avait été soulagé. Il n'avait plus jamais supris une converstation de ce genre.
Ce matin-là, le petit fripon s'amusait follement avec la bande qu'il dirigeait. Il jouait à être des guerriers du Clan de la Rivière. Petit Prince s'était évidemment approprié la place de meneur des Riverains et lançait ses ordres du haut de la troisième branche d'un petit arbuste. Il déclara qu'il n'avait pas besoin de lieutenant, et désigna une femelle du groupe comme guérisseuse. La petite en question ne protesta pas, et le chaton s'apprêtait à envpyer une patrouille surveiller leurs « frontières » quand une petite voix contrariée se fit entendre :
« Pourquoi c'est toi qui organise les patrouilles ? C'est le rôle du lieutenant, ça ! » Le chaton noir et blanc baissa immédiatement les yeux vers tous les petits regroupés sous lui, cherchant l'auteur de cette phrase. Il ne fut pas difficile à repérer, car il s'était avancé d'un pas et levait vers le jeune mâle des yeux furieux. Petit Gel. Le chaton avait contesté son autorité. Il allait le lui faire payer cher.
« T'es sourd ou juste stupide ? J'ai dit que je n'avais pas besoin de lieutenant, face de poisson ! Donc c'est moi qui m'occupe des patrouilles. » Le ton de Petit Prince était sec et sans appel. Il n'aimait pas les petits malins qui le défiait pour faire leurs intéressants. Normalement, après une réplique comme celle-ci, ils fermaient leurs bouches, honteux de s'être fait ainsi ridiculisés. Mais celui-ci semblait avoir particulièrement envie de se payer la plus grosse claque de sa vie, car il ne baissa pas les yeux et recommença à protester :
« Ah oui ? Et qu'est-ce qui te donne ce droit plus que les autres ? »Le chaton aux yeux ambrés étira ses babines en un rictus moqueur. Petit Gel avait vraiment envie de le provoquer. Soit. Il l'aura voulu. Le petit mâle bicolore était sans pitié dans ce genre de situation. Il sauta de sa branche et atterit juste à côté de l'impertinent dans un mouvement fluide. Ce dernier sursauta lorsque Petit Prince se déposa près de lui, et les yeux du mâle noir et blanc se remplirent de mépris mélangé à de la moquerie. Il se campa bien en face de Petit Gel, le regardant droit dans les yeux, et déclara d'une voix forte pour que tous les autres chatons l'entende bien :
« Peut-être parce que je suis purement Riverain ? Pas comme certain. » Il lâcha sa dernière phrase avec un regard appuyé envers l'insolent. Il ignorait si ce dernier était un sang-mêlé, mais son but était de l'humilier, pas de dire forcément la vérité. Mais ce dont il était sûr, c'est que lui était un sang-pur. Parfaitement pur.
Sa mère est une Riveraine, forcément. Mais ses parents elle l'était aussi. D'ailleurs, le grand-père maternel du chaton était toujours vivant. C'était un ancien, et comme tous les anciens, et était grincheux et se plaignait tout le temps. Passer du temps avec lui était un supplice pour le petit. Mais il y était obligé. C'était la seule et unique chose sur laquelle sa maman était catégorique. Elle disait que c'était important, la famille. Qu'il fallait entretenir les liens. Ouais, tu parles. Mais le chaton arrivait parfois à se dérober face à cette activité ennuyante. Il faut dire que Reine du Printemps n'a jamais été très dure à convaincre. En revanche, la grand-mère maternelle du petit mâle était morte en donnant naissance à sa fille, la mère de Petit Prince. C'était cette dernière qui lui avait dit, sans ajouter plus de détails. Son fils n'avait pas insisté sur le sujet, ne tenant pas à ce qu'elle se transforme en fontaine. D'ailleurs, il s'en fichait un peu.
Les parents de son père étaient eux, tout les deux vivants. Et, au grand bonheur de leur unique petit-fils, ils étaient tous deux des vétérans respectés du Clan. Enfin deux personnes honorable dans la famille ! Le chaton préférait nettement passer du temps avec eux plutôt qu'avec son autre grand-père ronchon. Il adorait quand ils lui enseignait des techniques de combat ou de chasse ! Bon, parfois, son grand-père et sa grand-mère paternels l'énervaient, surtout quand ils lui disaient qu'il fallait qu'il soit plus obéissant, plus poli et cetera. Il était là pour apprendre des techniques de guerrier, pas pour une leçon de morale ! Malgré tout, les parents de son père étaient de ses trois grands-parents ceux qu'il préférait.
Le petit est totalement sang-pur. Il en tire beaucoup de fierté, et s'en vante énormément.
« Ah, ok, je vois. Comme Môssieur à ses Papis et sa Mamie dans le Clan, il se croit tout permi ! Pff. T'as même pas d'oncle ou de tante, alors arrête de te la péter avec ta famille, elle est pas si exceptionelle. »La voix de Petit Gel le ramena sur Terre. Décidément, il l'énervait de plus en plus, celui-là ! Comment était-il au courant pour ses tantes et ses oncles ?
En effet, le chaton provocateur avait raison sur ce point-là. Il n'avait ni oncles, ni tantes. Sa mère était née fille unique, comme lui. Quant à son père… Il avait des frères. Il
avait. Les frères de Vol de Bourdons étaient morts un peu avant lui, lorsque Petit Prince n'avait pas encore ouvert les yeux. Le père du chaton le lui avait dit. Les oncles du petit étaient morts, emportés par le mal vert. Décidément, dans la famille du chaton bicolore, on avait le don d'avoir des morts toutes pourries ! Toujours était-il au'ils étaient décédés sans avoir ou fonder une famille. Le jeune mâle restait donc sans tantes, ni oncles, ni cousins, ni cousines. Un peu nul, de ne pas avoir ce genre de personnes dans la famille, c'était vrai.
Malgré tout, le chaton noir et blanc bouillonait de rage. Comment Petit Gel osait-il insulter sa famille ? Qu'est-ce qu'il avait, lui ? Une sœur ? Bravo. Félicitations, vraiment.
« Peut-être, mais moi, au moins, j'ai un cerveau qui fonctionne, figure-toi ! »Telle fut la réponse du chaton à cet affront. Il n'en était pas fier. Un jour, il se vengera.
• 4 LUNES •
Et maintenant, qui y'a-t-il a raconter ? Plus grand-chose, à vrai dire. Petit Prince est à ce jour âgé de quatre lunes. Son histoire n'est pas encore achevée, il y a encore tant de choses à écrire, tant de choses à vivre. Mais à présent, c'est à lui de continuer sa vie seul. Pourtant, il y a déjà certaines choses qui ne changeront pas. Sa mère continuera de se plier à ses quatre volontés, il continuera à commander les autres. Il sera toujours réputé pour son caractère impossible. Toutes ces petits détails ne changeront jamais. À présent, c'est à lui d'en rajouter d'autres, pour que sa vie soit remplie d'une belle et longue histoire.