~ Prologue ~
~ Une naissance ~
Quelque chose d'étrange se passait. Dans la forêt, une branche craqua. Le silence se faisait. Les buissons cessaient de s'agiter. Les petits animaux campagnards se terraient dans leurs abris. Les étoiles, froides et lointaines, illuminaient une petite clairière envahie par les fougères et les ronces. Là, une pauvre chatte, maigre et tremblante, luttait pour avancer, ahanante, la respiration pantelante, chaque pas lui arrachant un gémissement. Une douleur lancinante secouait son ventre rond. Cette femelle allait mettre bas.Une nouvelle contraction la fit hurler. Une colonie de chauve-souris s'envola dans des cris stridents. Le félin, les larmes aux yeux, espérait que cela n'était pas un mauvais présage.Enfin, l'animal repéra, entre ses paupières à demi closes de souffrance, une épais roncier aux épines acérées. Il s'y glissa tant bien que mal. Une fois à l'intérieur, entre les branches épineuses qui gardaient bien la chaleur, il forma une couche lisse de mousse et de feuilles pour se faire un nid.Une autre contraction. La jeune chatte haletait. Puis, une petit paquet humide tomba sur la mousse. Et un autre, et encore un autre. Au final, trois petits chatons en bonne santé naquirent cette nuit-là. Ils s'empressèrent de téter leur mère, qui poussa un soupir soulagé, leur fit une toilette bien méritée et s'endormit.***
~ Chapitre I ~
~ Une question ~
- Maman! Maman! Regarde ce que j'ai trouvé!
La petite chatte courait à toute allure, fonçant droit vers sa mère... et s'écrasant sur son flanc. La femelle laissa échapper un souffle rauque sous le choc, puis, délicatement, elle saisit la queue de sa petite protégée entre ses dents et la reposa au sol.
- Qu'est-ce qui mérite donc tant de me réveiller en criant à tue-tête comme un pinson en émoi? fit-elle, une lueur malicieuse illuminant son regard.
La petite afficha une moue contrite, puis retrouva d'un seul coup sa joie.
- J'ai attrapé un grillon!
L'insecte, mort, pendait mollement, accroché aux griffes menues de la chatonne.
Sa génitrice se mit à ronronner. Qu'elle était adorable!
- Belle prise, Eté, la complimenta-t-elle. Mais, et si tu t'attaquais plutôt aux souris?
Alors que sa fille agitait déjà la queue, prête pour une nouvelle partie de chasse, un autre s'approchais en tirant de toutes ses forces un gros galet rond.
- Maman! Maman! Regarde ma trouvaille!
Il plaça le bout de roche poli juste sous le museau agité de soubresauts amusés de sa mère.
- C'est un trésor! s'émerveilla-t-il, les mirettes écarquillées.
- Oui, bien sûr, Rocaille! répondit l'autre.
Les ronrons sonores de son aînée couvrirent le bruit des feuillages de la forêt. Son cœur débordait d'amour. Puis, soudain, il se serra.
Où est ma petite dernière? Où est Cerise?Une tache minuscule noire et blanche jaillit alors d'un massif de fougères.
La voilà! Elle semblait occupée à tirer quelque chose. Puis, une odeur bien reconnaissable chatouilla les narines de l'adulte. Son pouls s'accéléra.
Du sang!- Cerise! Ma chérie, mon enfant! s'écria-t-elle en volant au secours de sa chatonne.
Le frère et la sœur de Cerise s'écartèrent de la trajectoire de leur mère, la mine inquiète, et tentèrent vainement de voir leur cadette derrière son épaule.
La tête bourdonnante, la femelle se penche sur le corps de Cerise. Elle le renifla, et comprit aussitôt.
- Ta première proie!
C'était Eté qui avait parlé. Elle couvait d'un regard envieux la prise de sa sœur. Rocaille, quant à lui, en resta gueule bée.
- Tu as réussi! Du premier coup! s'extasia la mère.
Elle prit par la peau du cou sa chatonne, qui miaulait de protestation. Elle la reposa sur un moelleux coussin de mousse, puis lui apporta sa proie.
Une souris dodue.
Cerise se léchait déjà les babines, prête à les plonger dans la chair tendre, mais une patte douce lui barra la route.
- Tss, tss. Pas pour toi, murmura-t-elle. Tu n'es pas encore sevrée.
Elle laissa sa petite renifler encore un peu son trophée, puis elle le fit rouler aux pattes du reste de sa portée.
- Allez. Mangez, leur dit-elle tout bas, ne voulant pas que sa fille l'entende.
Etant la plus faible de la portée, elle était la plus fragile, la plus exposée. Si la mère surprotégeait Cerise, elle était plus laxiste avec Eté et Rocaille. Pour eux, elle se sacrifierait, mais elle voulait faire l'éducation de Cerise "dans les règles, point par point, sans avancement ou retard".
Mais Cerise n'était pas de cette avis. Et tandis qu'elle voyait sa mère et ses frères et sœurs se gaver de sa souris, une unique question tournoyait dans son esprit.
Pourquoi pas moi?***
~ Chapitre II ~
~ Un secret ~
Cerise, Eté et Rocaille avait bien grandi. Ils avaient 4 lunes maintenant. Et Cerise, frustrée de voir toutes ses proies finir dans la gueule de ses camarades de portée, devenait plus amère et farouche chaque jour.
Quand, enfin, sa mère l'autorisa à croquer dans de la viande, elle la pré-mâcha avant. En murmurant mille et une précautions! Cet évènement causa fortement de troubles à Cerise. Son poil se hérissait dès qu'elle y repensait.
Un jour, enfin, lors de la saison des feuilles mortes, alors que le gibier et les abris se faisaient plus rares, et les vents plus violents, la mère se tourna vers ses petits et déclara:
- Il est temps pour nous de rentrer.
Cerise, Eté et Rocaille se regardèrent. Que voulait dire la femelle? Elle les conduisit, à travers divers sentiers rocailleux, et atteignit enfin une limite frontalière d'un Clan. Un Clan, qui leur semblait vaguement familier.
La grande femelle leur avait déjà parlé des Clans. Celui de la Montagne Escarpée était l'un des plus puissants. Cerise, curieuse, renifla profondément et...
- Maman! Ce Clan sent comme toi!
Un vague souvenir de sa naissance remonta à la surface de son esprit. Une tiède odeur de lait, un léger fumet de fougères écrasée, un effluve corsé de chat... et cette senteur piquante, rappelant des pierres moussues, mouillés par des cascades coulant des montagnes.
- Maman? Pourquoi il sent comme toi? demanda Eté, en repoussant sa sœur sans précaution.
Autant leur mère était gentille et surprotectrice avec Cerise, autant Eté commençait à la détester. Quant à Rocaille, rêveur, il ne faisait que suivre mollement le courant, sans vraiment s'en prendre à la petite chatte noire et blanche.
- Vous avez de la truffe, ronronna la mère en éludant la question.
Eté battit l'air de la queue avec autorité.
- Réponds-moi! ordonna-t-elle, effrontée.
Même Cerise était plus douce. Mais la femelle ne s'en offusqua pas. Elle pressa son museau contre celui de sa fille rebelle, qui grommela en reculant.
- Petit chef! fit-elle, amusée. Je sens ainsi car mon compagnon, votre père, vient de ce Clan.
- Tu as pris l'odeur de mon... père? lâcha Eté, ébahie.
Cerise frissonna, mais ce n'était pas de froid.
"Mon" père? C'est "notre" père! Elle dût se retenir de cracher.
- Oui, comme vous.
Les trois chatons se mirent aussitôt à se renifler.
- C'est vrai! s'écria Cerise en sentant une vague odeur du Clan.
Eté lui lança un regard mauvais.
- Ferme-la, on s'en fiche de toi.
Cette phrase coupa court aux cris de victoire de l'autre, qui dévisagea sa camarade de portée avec des yeux ronds.
- Voyons, pas de vulgarité, siffla la mère. Il va arriver. Faites votre toilette, je ne veux pas qu'il vous voit ainsi, en petits sales et malpolis!
Qui arrive? se demanda Cerise. Elle en eu vite la réponse.
- Papa!
Un grand matou gris-brun surgit des taillis.
- Graines de chasseur, vous avez un bon nez! s'exclama-t-il en guise de salut.
Les trois compères lui sautèrent dessus en l'assaillant de questions.
- Oh, oh, du calme! Si je suis venu, c'est pour vous amener au Clan.
Aussitôt les petits cessèrent de rire.
- Hein?
- Pourquoi?
- C'est vrai?
- Oui, répondit-il. Votre mère ne peut pas assurer votre survie, en pleine saison des feuilles mortes. Elle consent à un énorme sacrifice en vous laissant à ma garde.
- Et elle peut pas venir? demanda Eté, farouche.
- Non. C'est une solitaire, dit-il d'un air distrait.
Puis il s'approcha de sa compagne et lui murmura à voix si basse que Cerise eu des peines à l'entendre:
- Tu es sûre, Chardon?
- Sûre et certain, Sabot du Cerf, répliqua Chardon.
Sabot du Cerf frémit et accompagna la mère de ses chatons un peu plus loin pour pouvoir discuter tranquillement avec elle en aparté.
Cerise cligna des yeux. La vague de terreur qui l'avait prise se mua en une colère froide.
Ils parlent de moi.***
~ Chapitre III ~
~ Une tragédie ~
L'intégration de Cerise, Eté et Rocaille dans le Clan fut rude. Sabot du Cerf ne précisa pas qui était leur mère, même si les autres membres de l'Escarpée se doutait de leurs origines.
Les lunes passèrent. De Petite Cerise, Petit Eté et Petite Rocaille, les trois chatons devinrent
Nuage de Cerise, Nuage de l'Eté et Nuage de Rocaille. Leur père les entraînait avec acharnement: il accompagnait les moindres exercices de leurs mentors, au point que ceux-ci s'en plaignirent au chef.
Et, après cette époque fructueuse... ce fut le début de la fin.
La veille de leur baptême de guerrier, alors qu'ils étaient excités après l'annonce de leurs tuteurs, ils menèrent ensemble leur dernière patrouille frontalière en temps qu'apprentis.
La patrouille se déroulait bien. Ils allaient rentrer au camp, prendre une bonne nuit de sommeil mérité. Mais une odeur métallique fit hérissé le poil de Nuage de Cerise. Elle avait de loin le nez le plus affûté, et là, le fumet qui s'imposait à elle l'effraya.
Du sang.Elle accourut dans une petite clairière, suivie par ses camarades étonnés. Le cadavre d'une chatte ensanglanté reposait là. Nuage de Cerise la reconnut tout de suite.
- Chardon! hurla-t-elle, la douleur lui vrillant les muscles.
Ses pattes faillirent céder sous elle. Nuage de l'Eté et Nuage de Rocaille reniflèrent le cadavre sans vie en pleurant.
Puis une bande de matous décharnés jaillit des fougères. Certains avaient les pattes écarlates d'hémoglobine. Ces chats errants avaient assassinés Chardon!
Enragée, Nuage de Cerise fonça dans le tas. Le combat fut terrible. Au prix de nombreuses blessures, elle et ses compagnons battirent les chats solitaires, qui s'enfuirent en hurlant.
Mais Nuage de Rocaille était gravement blessé. Il fut rapporté au camp d'urgence. Mais le guérisseur ne put rien faire: le pauvre succomba de ses plaies.
Cette patrouille, Nuage de Cerise ne l'oubliera jamais. Elle lui avait retiré deux membres de sa famille. Mais elle contribua à la rapprocher de sa sœur, dont le chagrin était identique au sien. Leurs tensions qui avaient débuté chatons s'étaient évanouies sous le choc de ces deux morts.
Malheureusement, elles ne purent en profiter longtemps. Une fois guerrières, Poil de Cerise et Pelage de l'Eté, cette dernière mourut d'une épidémie de mal vert quelques lunes après, lors de la saison des neiges. Elle ne vit même pas la saison des feuilles nouvelles, pourtant proche.
Marquée à vie par ces morts, Poil de Cerise s'endurcit encore. Elle devint maussade et ironique. Puis, quand son père rejoignit la tanière des anciens, et s'y éteignit avec l'âme en paix, elle se jura de ne jamais, jamais s'attacher à qui que se soit. Elle ne voulait pas ressentir la même douleur qu'à cette époque. Maintenant, elle se dévoue à son Clan, cœur et âme.
***
~ Epilogue ~
~ Une nouvelle vie ~
Aujourd'hui, j'ai 24 lunes. Cette histoire, qui est la mienne, n'est pas facile, mais j'ai vécu avec. J'ai survécu avec. Mes plaies se sont refermées. Mais les cicatrices restent. Elles ne s'effacent pas. C'est mieux ainsi.
Aujourd'hui, je me bats pour mon Clan...